Une part essentielle du caractère de la place Denfert-Rochereau est apportée par les deux bâtiments de la barrière d’Enfer construits en 1785 par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux. Un projet mal réfléchi de la Mairie de Paris pourrait compromettre l’intégrité architecturale et paysagère de ce patrimoine important et irait à contresens des objectifs de l’aménagement de la place.
Les deux bâtiments de la place Denfert-Rochereau faisaient partie des 55 barrières du mur des Fermiers généraux, dont il ne reste aujourd’hui que quatre. Ils constituent un patrimoine important, autant du point de vue architectural que du point de vue de l’histoire de Paris.
Dans l’esprit de Ledoux, les bâtiments des barrières devait jouer un rôle de propylée, c’est à dire d’entrée monumentale de Paris, comme pour l’entrée d’un temple grec. La barrière d’Enfer, avec ses deux bâtiments face à face, illustre particulièrement bien cette idée, créant une sorte de vestibule avant l’entrée dans la cité.
Pendant des années, ces bâtiments ont été quasiment vides, fermés au public et pratiquement inaccessibles. Leur réutilisation est un enjeu majeur du réaménagement de la place Denfert-Rochereau annoncé par la Mairie pour ce mandat.
La Mairie a récemment fait part d’un projet d’installation dans ces deux bâtiments du Musée du général Leclerc de Hautecloque et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin, apparement développé sans lien avec le processus d’aménagement de la place,
L’idée motrice du projet est excellente. L’emplacement actuel de ce musée, particulièrement bien dissimulé sur la dalle construite au dessus de la gare Montparnasse, le rend extrêmement confidentiel. Augmenter sa visibilité et le localiser sur un lieu fort de la liberation de Paris est un projet enthousiasmant.
Mais le détail du projet de la Mairie pose problème. Lorsqu’on en fait un examen approfondi, on voit que ce projet dans sa forme actuelle pourrait gravement compromettre non seulement le caractère des bâtiments, mais les possibilités d’aménagement futur de la place.
Le bâtiment ouest de la Barrière de Ledoux, en particulier, a été dénaturé par l’adjonction de corps de bâtiment dans un but uniquement utilitaire, conçus sans compréhension du caractère du bâtiment d’origine et de sa composition dans l’espace. Ainsi, le bâtiment a perdu une grande partie de son caractère d’origine, qui était dû à la composition spatiale d’ensemble dont il faisait partie.
Or, la proposition de la Mairie est précisément de préserver l’emprise de ces bâtiments malheureux accolés au fil du temps à l’oeuvre de Ledoux.
La préservation de ces emprises bâties qui travestissent la vision de Ledoux serait très dommageable, autant du point de vue de la préservation du patrimoine architectural que du point de vue de l’aménagement des espaces de la place.
La base de tout projet devrait être, au contraire, de rétablir la configuration initiale des bâtiments de Ledoux, en démolissant les corps de bâtiment qui ont malencontreusement été accolés beaucoup plus tardivement et et sans aucune intention architecturale.
Outre l’aspect architectural et paysager, il faut tenir compte du fait que ces bâtiments se trouvent sur une des places parisiennes qui doivent être réaménagé au cours du présent mandat de la Maire de Paris.
Les conseils de quartier concernés ont déjà commencé un travail avec des visites exploratoire et une analyse qui a été restitué en conseil de quartier en présence de plusieurs élus de tous bords, qui ont unanimement salué la qualité du travail fait.
Une composante essentielle des orientations des conseils de quartier était de rétablir le caractère architectural et paysager des deux bâtiments de la barrière d’Enfer pour leur donner un aspect similaire aux autres pavillons d’octroi de Ledoux restants, place Stalingrad et dans le parc Monceau.
La proposition des conseils de quartier était même d’aller plus loin en rétablissant le rôle de propylée imaginé par Ledoux, en créant un espace piétonnier entre les deux pavillons. Le rôle urbain de cet espace, aujourd’hui encombré et d’utilisation malaisée pour les piétons, serait totalement transformé.
D’autre part, l’élimination de la profusion de bâti non-maîtrisée autour du bâtiment ouest de la barrière aurait permis de dégager l’espace de la place, aujourd’hui très peu lisible, et de créer de nouveaux liens entre le jardin public derrière le bâtiment et le côté sud de la place. Pérenniser l’emprise au sol des bâtiments autour du bâtiment ouest de la barrière irait parfaitement à contresens de ces idées.
Poursuivre l’emprise des bâtiments existants serait donc hâtif et mal-avisé, alors même qu’une vision différente et bien plus respectueuse du caractère et de l’histoire de ce lieu se dégage des réflexions préliminaires pour l’aménagement de la place.
La conclusion est qu’avant de donner à la Maire l’autorité de faire réaliser ce projet, comme elle le demande, il faut d’abord entériner le principe de base que les deux bâtiments de la barrière seront débarrassés de toute structure parasite. Tout nouvelle aménagement doit respecter le caractère du projet de Ledoux et les orientations préliminaires de l’aménagement de la place telles que préfigurées par le conseil de quartier concernés.
Il faut ensuite étudier si les surfaces disponibles seront suffisantes pour le musée, ce qui semble très improbable. Il faut donc envisager l’installation du musée sur un autre site sur la place Denfert-Rochereau ou à proximité, afin de préserver l’idée du lien du musée avec les faits historiques qui se sont déroulés sur la place et à proximité.
Mon point de vue personnel est que l’espace au nord de la place, à l’arrivée du boulevard Raspail, aujourd’hui sévèrement déqualifié, pourrait accueillir un bâtiment neuf pour le musée. Cela donnera une utilité à cet espace qui est plus un problème qu’un atout dans l’aménagement de la place. Cela créerait un nouveau signal fort sur la place et renforcerait son identité. Du point de vue fonctionnel, il renforcerait le côté nord de la place, où il y a beaucoup moins d’activités et d’attractions, et encouragerait la vie et l’exploration sur la totalité du périmètre de la place. Il ne s’agirait pas d’une augmentation de l’emprise bâti de la place, étant donné que les emprises existantes autour du bâtiment Ledoux seraient restituées en contrepartie.
En tout état de cause, il ne faut pas accepter un projet mal réfléchi qui compromettrait notre patrimoine historique et les qualités spatiales de la future place, qui doit être une des plus belles et des plus vivantes de Paris.