Paris est au bord d’une révolution. Comme cela s’est déjà produit plusieurs fois dans l’histoire, une disruption de la mobilité va entrainer un changement fondamental dans nos modes de vie et nos espaces publics. Si nous anticipons les décisions et faisons les bons choix nous pouvons espérer une amélioration radicale de notre qualité de vie. Mais cette issue heureuse est loin d’être assurée. Il est urgent que nous projetions notre vision de Paris dans le monde de la mobilité future désormais à notre porte.

Beaucoup se demandent si les véhicules autonomes vont vraiment être une réalité et à quelle échéance. Ils vont en effet l’être, et beaucoup plus vite qu’on l’imagine. Nous sommes devant une révolution inéluctable dont la grande majorité d’entre nous n’a pas conscience.
Certaines voitures déjà sur les routes sont équipés de beaucoup d’éléments d’autonomie. Leurs performances sont bluffantes, notamment en matière de prévention des accidents. Mais ce n’est rien par rapport à ce que font les véhicules en développement chez les grands constructeurs. Nous ne le voyons pas encore, mais la révolution des véhicules autonomes est déjà bien avancée.

On peut déjà acheter des Tesla avec le système Autopilot et des Mercedes dotées du système Drive Pilot, dont les capacités sont en constante progression. Mais c’est en coulisses qu’une nouvelle génération d’automobiles se prépare. Renault-Nissan a annoncé pour 2022 l’arrivée d’un “robo-taxi”, c’est à dire un véhicule fournissant un service de mobilité autonome. Ford ne veut plus être asservi à la date de 2021, mais travaille à un véhicule autonome de niveau 4. Daimler prévoit des échéances semblables pour son “Robotertaxi”, la Smart Vision EQ. D’ici cinq ans nous allons donc assister à un déferlement sur les routes de véhicules de plus en plus autonomes. Et une fois en situation réelle, les enjeux et les investissements sont tels que la technologie va rapidement se perfectionner. La décennie 2020 sera celle de l’autonomisation de la conduite.
Les Etats-Unis sont clairement en pointe sur le sujet. La moitié des états ont déjà adopté des lois ou des ordres exécutifs sur les véhicules autonomes et le congrès travaille sur une législation au niveau fédéral. Il est clair que pour tous ces acteurs la question n’est pas de savoir si les voitures autonomes vont arriver en masse sur les routes, mais quand. On n’imagine pas que la France puisse rester en retrait – c’est un enjeu de compétitivité pour nos grandes villes autant que pour notre industrie automobile. La technologie existe et il est vain de penser qu’elle ne va pas se répandre, surtout dans une métropole qui vise l’attractivité mondiale comme Paris.
Une fois arrivées, les véhicules autonomes vont se développer rapidement. Le think tank RethinkX prévoit qu’aux Etats-Unis d’ici 2030 60% du parc automobile sera autonome et que 95% des kilomètres parcourus le seront par des véhicules autonomes. La raison est que le passage se fera par le déploiement massif de flottes de véhicules autonomes en partage; la voiture particulière va devenir marginale, la mobilité deviendra définitivement un service. Une telle prédominance des véhicules autonomes conduira à une recomposition en profondeur de l’espace urbain.
La prépondérance des véhicules autonomes va poser la question de l’existence même des véhicules conventionnels. La question des émissions de CO2 n’en est qu’un aspect. Le facteur décisif est la sécurité. Nous allons devoir sérieusement nous poser la question de comment nous pouvons justifier le fait de permettre à des humains au taux d’erreur élevé et au comportement irresponsable beaucoup trop fréquent de conduire des véhicules très puissants sur l’espace public. Il semble tout à fait probable que les véhicules tels que nous les connaissons – à combustion et à conduite humaine – soient non seulement obsolètes mais interdits sur les voies publiques dans les deux prochaines décennies. C’est à dire, à l’échelle temporelle des villes, demain.
La question essentielle pour tous les acteurs de la politique métropolitaine parisienne est d’anticiper les formes que prendra cette transition à l’autonomie des véhicules, l’impact qu’elle aura sur Paris et les mesures de politique public à mettre en place pour qu’elle se fasse au bénéfice et non pas au détriment du bien commun.
L’étude Driverless Future d’Arcadis, avec HR&A Advisors et Sam Schwartz Engineering, quantifie l’impact potentiel des véhicules autonomes sur les villes. Se basant sur une analyse détaillée de trois villes avec des typologies différentes, les auteurs ont développé un modèle prédictif, quartier par quartier, modélisant sur une base économique le nombre de personnes qui passeraient de la possession d’une voiture à l’utilisation de services de mobilités avec des véhicules autonomes.

Le résultat est un report important de la propriété de voitures particulières vers l’utilisation de services de mobilité à base de véhicules autonomes.
Ce scénario n’est en réalité qu’une extension de ce que l’on voit déjà, avec l’accroissement de la mobilité en tant que service proposé par des acteurs tels que Autolib, Uber, BlaBlaCar et Chauffeur Privé dans un nouvel environnement où tous ces services seraient sans conducteur. Il correspond pleinement à la stratégie des grands constructeurs automobiles qui se positionnent pour gagner non plus la bataille de la ventes aux particuliers, mais la bataille de la mobilité en tant que service avec des flottes de véhicules en partage. La stratégie des grands constructeurs (par exemple General Motors) est la mise à disposition du public de flottes de véhicules autonomes, commandables à tout moment via un smartphone, à très grande échelle.

Le scénario du déploiement de flottes de véhicules autonomes en partage aura de très grandes implications :
- Très fort accroissement des voyages intermodaux combinant véhicule autonome en partage et transports en commun ;
- Augmentation de la sollicitation des tronçons principaux du réseau de transports collectifs (RER, Transilien, Grand Paris Express) et diminution de l’utilisation des ramifications (bus en périphérie) ;
- Augmentation potentielle du nombre de véhicules sur les routes (bien que moins spatiovore grâce à une circulation rationalisée) ;
- Forte diminution des véhicules en stationnement en zone urbaine, particulièrement en surface;
- Elimination de la notion du parking comme espace recevant du public et remplacement par des centres de rechargement et de maintenance.
On perçoit rapidement que le déploiement massif et rapide de flottes de véhicules autonomes en partage pose des questions critiques de politique publique. Si les acteurs privés mettent la collectivité devant le fait accompli, la moitié de la bataille régulatoire est perdue. Les objectifs de bien public doivent être anticipés afin que les entités de gouvernance urbaine puissent s’assurer que les développements nous mènent vers la vision salutaire de l’ère du véhicule autonome et non pas vers une vision infernale.
L’évolution de fond serait d’organiser l’accès à l’espace public que constitue la voirie par un système de concessions. Le contrat de concession comporterait des obligations, par exemple des obligations de partage des données en open data afin de à laisser ouvert le choix des applications donnant accès au services de mobilité et de garantir la facilité des usages intermodaux. Il pénaliserait sévèrement les voitures “zombies”, c’est à dire les véhicules autonomes circulant vides et qui gaspillent le bien commun qu’est l’espace public.
Pour l’instant, nous n’avons pas les dispositions et les autorités permettant d’envisager la mise en place de ces mesures.
Les véhicules autonomes apportent une modification technologique qui doit nous permettre de mieux concilier mobilité du plus grand nombre et qualité d’usage des espaces urbains.
Les véhicules autonomes auront besoin d’infrastructures très différent. Elles peuvent circuler de manière beaucoup plus efficace car elles peuvent rouler en convoi rapproché (voir projet SARTRE de Volvo) et communiquer de manière à se croiser en flux continu (voir les recherches de l’Université du Texas). Ces possibilités technologiques promettent des améliorations importantes dans la mobilité et l’accessibilité, et des opportunités économiques, sociales et culturelles.
L’arrivée des véhicules doit donc permettre la libération massive d’espace public en ville.
Aujourd’hui à Paris 50% de l’espace public est consacré à la voiture alors que seulement 13% des déplacements sont faits en voiture. De toute évidence, cette répartition inéquitable ne correspond plus à l’attente des parisiens.
On accepte aujourd’hui qu’une grande partie de l’espace public urbain soit consacré au stationnement. Avec les véhicules autonomes – a fortiori si elles sont en partage – l’argument de la proximité du stationnement n’est plus valable. On peut envisager l’interdiction pure et simple du stationnement des véhicules autonomes en surface en zone urbaine et la diminution des places en surface pour véhicules conventionnels en proportion de la diminution du parc. L’espace gagné serait de 198 hectares rien que pour Paris intra-muros.
On peut imaginer un Paris totalement différent – une nouvelle phase dans notre paysage, après un passage d’un siècle dominé par la voiture polluante, dangereuse et spatiovore. Au total, c’est un nouveau contrat social de l’espace public urbain à définir.
Les possibilités ouvertes sont enthousiasmantes : quelques axes principaux réservés à une mobilité rapide hyper-efficace et sécure, mais le gros de l’espace public dédié aux piétons, à la micro-mobilité, aux vélos, aux véhicules autonomes à vitesse très réduite et aux espaces verts. (voir le scénario imaginé par EDG pour Manhattan)
Il est urgent que nous prenions toute la mesure de la révolution de la mobilité qui arrive et que nous construisons notre projet commun d’un Paris du futur tirant pleinement parti des nouvelles technologies pour rendre notre ville – que le monde entier admire – encore plus belle et attractive.