J’assure depuis cinq ans un cours sur la ville contemporaine en deuxième année du Collège Universitaire de Sciences Po. Si mon rôle est d’enseigner, cette expérience m’a néanmoins beaucoup appris, en particulier sur la vision des jeunes générations sur les villes et sur l’avenir urbain.
À mon arrivée à Sciences Po en 2014, ma vision était d’ouvrir les élèves du Collège Universitaire sur les questions de la ville. Le cursus était déjà bien entendu rempli de sujets qui s’appliquent à l’urbain, mais où la ville n’était pas abordée comme le sujet central. Mon cours était l’opportunité de mettre la ville, ses problématiques et ses processus spécifiques, au centre de la réflexion. Je voulais créer chez ces jeunes gens dont les parcours universitaires et professionnels seraient très diversifiés une véritable sensibilité à l’urbain.
Les spécificités de l’approche urbaine sont vites apparues aux étudiants. Il y a l’appréhension de l’espace, traduite par exemple dans la morphologie urbaine – sujet totalement absent de l’outillage généraliste (sauf, fait significatif, chez les étudiants italiens). Il y a l’aspect temporel du changement urbain, par nature différent de beaucoup d’autres champs de l’action publique. L’articulation entre les faits décisionnels et la réalité tangible d’un contexte urbain concret mettait en lumière les questions de gouvernance et d’action publique de manière très différente par rapport à leur formation générale.
Au fil des années, j’ai compris l’intérêt des étudiants pour mon activité professionnelle, qui consiste à travailler sur la réalisation de projets similaires à ceux que nous étudions dans un contexte historique. Nous avons donc fait plus de place aux questions d’actualité, d’abord à travers des cours sur des villes asiatiques, africaines et sud-américaines qui vivent actuellement l’effervescence – et les difficultés – des villes de nos études de cas historiques. Puis nous avons mis en place des cours thématiques sur les grands enjeux actuels de la ville comme l’écologie urbaine et la gestion des données urbaines. Les deux dernières années les étudiants ont fait des projets par équipe mettant en oeuvre une lecture globale des enjeux de villes de leur choix, de Bogotá, Manille et Kinshasa à Détroit et Abu Dhabi.
Je suis fasciné par le regard de mes étudiants et me pose toujours la question de ce qui reflète plus particulièrement la vision d’une génération qui découvre aujourd’hui la situation et qui se projète dans l’horizon temporel de sa durée de vie.
J’ai été frappé par la constance d’un regard impitoyable sur le modèle urbain de l’étalement basé sur la voiture, considéré comme révolu, obsolète et à peine digne d’analyse. Le rejet me semble parfois trop rapide, mais il témoigne d’un ancrage fort dans des valeurs urbaines frontalement opposées à ce modèle.
La forte défiance envers la technologie m’a étonné. Les étudiants sont extrêmement sensibles aux risques de dérives technologiques et ont tendance à privilégier des solutions de terrain qui ne dépendent pas de la technologie. Leur focalisation constante est sur les questions d’environnement et d’équité.
Cet enseignement m’a finalement conduit a questionner ma pratique professionnelle. Bien entendu, l’éthique d’une vision sociale et environnementale a toujours structuré ma vie professionnelle. Mais se trouver chaque semaine devant des jeunes sur le seuil d’une vie professionnelle qui va s’étendre sur plusieurs décennies renforce à chaque fois la réalité de cet impératif éthique.
Pour moi les moments les plus forts étaient quand je ne connaissais pas les réponses aux questions que me posaient les étudiants. Alors, je leur disais que c’étaient précisément pourquoi je fais ce cours : je veux leur donne les outils et l’envie de gérer des questions auxquelles nous ne connaissons pas les réponses, que les parties prenantes des villes vont devoir co-créer ensemble dans les années à venir. Ce cours est ma manière de contribuer à la résolution de ces problèmes à travers l’action future des jeunes générations. Je compte sur eux.